Par Sophie Chapelle (16 octobre 2012) – Fuente
En Iran, il n’y a pas que des chercheurs en physique nucléaire ou des mollahs va-t-en guerre. Des paysans s’organisent pour résister à la privatisation des semences et préserver la biodiversité. Basta ! a interviewé le syndicaliste paysan iranien Abdol Reza Biglari, à l’occasion des rencontres internationales des maisons de semences, à Périgueux.
Plus de la moitié des paysans du monde produisent leurs semences. Parmi eux, le paysan iranien Abdol Reza Biglari. Issu d’une famille d’agriculteurs, il a mené en parallèle les métiers d’éleveur, d’arboriculteur et de professeur des écoles. Aujourd’hui retraité, il demeure engagé pour l’autonomie alimentaire et le souci d’une alimentation de qualité. Présent à Périgueux à l’occasion des rencontres internationales des maisons de semences, ce paysan livre à Basta ! les raisons de son engagement.
Basta ! : Quelle est la situation de la biodiversité agricole en Iran ?
Abdol Reza Biglari : Le lancement de la révolution verte par les gouvernements dans les années 1950 a contribué à la perte d’une grande partie de la diversité biologique. De nombreuses variétés traditionnelles ont été mises à l’écart puis perdues, au profit des variétés à haut rendement, accompagnées de leurs pesticides. Mais les semences venant de la recherche génétique sont mal adaptées à nos besoins. Elles demandent beaucoup de pesticides, d’engrais chimiques et d’eau, ce qui coûte très cher et n’est pas durable. D’autant plus que nous avons un gros problème de sécheresse dans notre région, avec des températures très élevées et relativement peu d’eau à notre disposition.
Les semences hybrides importées ont aujourd’hui complètement envahi le marché des semences. Même s’il y a encore très peu d’OGM sur le territoire iranien, ils contribuent à l’érosion génétique. Celle-ci est accélérée par la privatisation du secteur des semences : des lois définissent les graines qui peuvent – ou non – être vendues ou échangées, voire même utilisées. Ces restrictions sont un grave problème. Le fait de limiter la conservation des semences par les agriculteurs contribue à nous rendre dépendants des variétés disponibles sur le marché. Nous avons besoin de lois oui, mais de lois qui défendent les droits des paysans.
Que peut faire Téhéran pour protéger cette biodiversité des semences ?
Tout a été mis en œuvre en Iran pour que l’on se spécialise dans l’élevage. Nous avons oublié notre rôle actif dans la sélection végétale. Les agriculteurs doivent avoir à nouveau accès à des semences et des races animales adaptées à leur environnement, à leur situation économique et culturelle. Avec le soutien de l’ONG Cenesta, un centre pour le développement durable, nous avons commencé il y a six ans un programme participatif de sélection végétale, afin de trouver des variétés locales adaptées.
Nous travaillons avec un chercheur d’Icarda, un centre de recherche international basé en Syrie [1], sur la sélection de variétés de blé et d’orge qui correspondraient à nos besoins. Nous espérons qu’un jour chaque région aura des semences adaptées.
Que permet ce travail entre chercheurs et paysans ?
Un espace avec 320 variétés de blés et d’orges anciens a été créé il y a un an. Nous avons obtenu un accès aux banques de gènes internationales, et fait revenir dans les champs des variétés anciennes d’Iran. Une « banque de gènes locale » a été mise en place. Après notre passage en France, nous allons la renommer « maison de semences » ! Une maison, c’est différent d’une banque… C’est un lieu pour tous, où chacun peut venir avec sa créativité. Il est situé à une centaine de kilomètres de Téhéran. Il appartient à une personne mais tous les paysans peuvent y avoir accès. Nous sommes une vingtaine à être actifs dans cette préservation et cette création de biodiversité. Une chose est sûre : pour atteindre la souveraineté alimentaire, faire un travail collectif est absolument nécessaire.
Le gouvernement iranien soutient-il ce type d’initiatives ?
Ce programme n’est malheureusement pas soutenu par le gouvernement ni par les autorités locales. Après des années de guerre, puis de graves problèmes économiques, le gouvernement n’a pas vraiment de programme de développement agricole. Les fonds sont attribués au coup par coup, juste ce qu’il faut pour que les gens ne souffrent pas de la faim, ou manifestent et s’engagent.
Nous n’avions pas de syndicat agricole, et le gouvernement en a créé un il y a deux ans. Il reste en partie sous le contrôle des autorités, mais nous en sommes devenus membres pour pouvoir un jour utiliser ce nouvel « outil ». Il n’existe pas de mouvement ou d’organisation de consommateurs. Mais il y a une inquiétude patente quant à la qualité de la nourriture : c’est une question qui est très présente, à cause du nombre de maladies, de cancers…
Qu’est-ce qui motive votre engagement ?
Donner à manger aux gens une nourriture saine ! Il est sans doute encore trop tôt en Iran pour aller vers du 100 % biologique. Mais on peut dès à présent utiliser moins de produits et d’engrais chimiques. La plupart de ce qui est produit en Iran y est consommé. En tant que paysan, c’est mon rôle d’offrir une nourriture aussi saine que possible. Échanger des idées et des expériences avec des paysans de tous les continents, par ces rencontres internationales, est aussi très important. Ces échanges sont aussi la base pour construire la paix dans le monde.
Recueillis par Sophie Chapelle
Photo de une : source
Notes: [1] Salvatore Ceccarelli, chercheur à l’ICARDA (centre de recherche international pour la recherche agricole en zone sèche), a démontré que les paysans avaient des compétences pour faire leur sélection dans les fermes : il montre que si l’on se contente de décentraliser la sélection, on peut passer à côté du développement de sélections utiles car on n’aura pas utilisé les connaissances très particulières que les paysans ont de leur champ et de leur milieu. La réunion dans un même champ des activités de production, sélection, conservation, pour renouveler la variabilité permettent un meilleur maintien de la biodiversité.